Bitcoin : le roi de la jungle des monnaies électro.
Publié le 13 mai 2014 par Julien Béranger
Avant de pénétrer dans la jungle luxuriante des monnaies électroniques, il faut s'équiper correctement et bien comprendre ce qu'est le Bitcoin. Attendez-vous à affronter quelques bêtes sauvages et quelques plantes carnivores mais n'ayez pas peur : rares sont celles qui mordent ou piquent.
Le Bitcoin est une base de donnée dans laquelle on inscrit des transactions. On y ajoute un nouveau bloc toute les dix minutes, cela forme un chaîne que personne ne peut briser : la « blockchain ». Chacun peut la télécharger en entier : cette base de donnée est « distribuée » ou « décentralisée ». Le site blockchain.info permet de la consulter en ligne : on peut voir l'adresse publique de l'acheteur, celle du vendeur ainsi que le montant. Autrement dit, quand j'achète une baguette en Bitcoin, mon achat est comme « inscrit dans le marbre » : on peut retrouver la trace de cette transaction sur la blockchain, elle-même physiquement inscrite sur les disques durs des ordis du réseau Bitcoin.
On peut facilement savoir « d'où vient l'argent ». En se baladant de transaction en transaction, on peut remonter jusqu'à l'origine : le « mineur ». Celui-là n'a pas de charbon dans les poumons ni de casque sur la tête : c'est juste un ordi qui « casse du hash » : ça veut dire qu'on lui fait faire des calculs de math pour fabriquer du Bitcoin et vérifier les transactions. Je vous épargne les détails. Ce qui est important à savoir c'est qu'ils sont payés en Bitcoin : ils ont ainsi personnellement intérêt à faire tourner leur machine. Dans le système monétaire actuel, ce sont les banques qui font ce « travail ». Ne riez pas : il faut bien que quelqu'un le fasse ! Tout le monde, sans exception, paye ce service sous la forme d'intérêts. Ce mode de fonctionnement a clairement montré ses limites. Nous avons tous besoin de ce « service public » qu'est la monnaie. Le succès fracassant du Bitcoin à le mérite d'inviter toutes et tous à la réflexion.
Revenons au concret : une adresse publique n'est pas forcément liée à une identité réelle. Si vous l'affichez sur votre blog, on sait que c'est la vôtre : on peut donc savoir combien vous avez, qui vous a donné et à qui vous avez envoyé de l'argent. On peut avoir autant d'adresses qu'on veut. Effectuer un paiement de façon anonyme est possible mais ce n'est pas si évident que ça. Il serait inapproprié que j'explique ici comment faire... Il est probablement plus facile de blanchir des Euros, c'est pourquoi les choses sont très claires : le Bitcoin N'EST PAS « la monnaie des brigands » comme nos chers médias le répétent encore sans trop savoir pourquoi.
Autre point important : la quantité totale est limitée. On peut considérer le Bitcoin comme une sorte « d'or électronique ». Les transactions sont aussi faciles et irréversibles qu'en liquide. Maintenant, écoutez-bien ceci : chaque adresse est constituée d'une clé publique et d'une clé privée. Cette clé privée permet de disposer de l'argent : elle peut être stockée sur votre ordinateur (à éviter...), sur un disque dur externe, sur une feuille de papier ou bien dans une simple phrase ! Il me suffit de vous dire cette phrase pour vous communiquer une clé privée. Or, les technologies de cryptage de l'ADN étant ce qu'elles sont, il est aujourd'hui techniquement possible de stocker de l'argent dans une jolie fleur ! C'est fou, non ? Par contre, comme dit le Petit Prince : « Je suis responsable de ma rose. » Si vous perdez votre clé privée, il n'existe strictement aucun moyen de récupérer l'argent qui s'y trouvait. Il est recommandé de privilégier le « stockage à froid », c'est-à-dire ni en ligne, ni sur votre ordi.
« Je suis responsable de ma rose. »
Comme toutes les monnaies complémentaires, la première façon de se procurer du Bitcoin, c'est de l'accepter dans vos échanges. C'est facile : il suffit de le dire. La deuxième, c'est d'en acheter sur une plateforme d'échange ou bien à quelqu'un qui veut bien vous en vendre. La troisième, c'est d'en fabriquer vous-même et devenir mineur. Je ne le recommande pas particulièrement... La ruée vers l'or, c'est fini! Certains dispositifs permettent même d'utiliser la chaleur des circuits imprimés comme chauffage ! Pourquoi pas...
Sur le plan juridiques, les choses avancent tranquillement. Le gouvernement allemand l'a reconnu en tant que « monnaie privée » dès juillet 2013. La Banque de France, de son côté, a publié un petit document pour préciser qu'elle n'est pas en mesure de « garantir » votre argent stocké sous cette forme. Elle a bien fait : si pour une raison ou une autre le prix tombe à zéro, il n'y a pas de recours possible. Il faut bien comprendre que Bitcoin n'est pas une entreprise : c'est un programme conçu par un certain Satoshi Nakamoto. Il s'est exprimé pour la dernière fois le 12 décembre 2010, après quoi il s'est totalement retiré du projet, laissant la main à plusieurs développeurs qui proposent régulièrement des améliorations du code source. Ces modifications doivent évidemment faire l'objet d'un consensus. Tout ce petit monde forme ce qu'on appelle la « communauté Bitcoin », elle a prouvé qu'elle sait se mobiliser avec beaucoup de réactivité en cas de coups durs. Il y a toujours quelques bugs à corriger de-ci de-là. Les failles et problèmes plus ou moins menaçants existent bel et bien, cependant beaucoup de commentateurs étaient persuadés que le Bitcoin ne passerait pas l'hiver... Aujourd'hui, 1 BTC s'échange contre 97206 USD. On ne peut pas affirmer que le réseau pourra supporter un certain volume d'échange. Par contre, de manière générale, les systèmes de paiement ont la peau dure et il ne me surprendrait pas de voir le prix grimper d'un seul coup à la prochaine tempête monétaire. Ce sont des choses qui arrivent.
Le succès du protocole Bitcoin démontre la force du concept de chaîne de blocs : il n'y a plus besoin de faire confiance à un tiers, à une entreprise, institution ou état pour échanger des données sensibles. Elles sont vérifiées et garanties par un réseau décentralisé, c'est ça le plus important et c'est ça qui change tout. Dans ce contexte révolutionnaire, beaucoup de jeunes entreprises proposent toutes sortes de services plus ou moins pertinents. Le développement de ce secteur d'activité peut être créateur d'emploi. Pourquoi s'en priver ?
Il y a de quoi être enthousiaste. Personne n'est capable de faire la liste des applications décentralisées (« DApps ») qui pourraient changer la donne dans un certain nombre de domaines. Les développeurs qui travaillent sur ces projets appellent régulièrement à la créativité de chacun. Maintenant que le système de chaîne de blocs est au point, les projections les plus folles sont permises. Par exemple, un nouveau statut d'entreprise pourraient émerger : les « OAD » (Organisations Autonomes Décentralisées), le financement participatif explose et peut, lui aussi, être décentralisé, il est également question de contrats sans notaires ni avocats, ou bien de systèmes de vote électronique enfin fiables ! On ne sait pas jusqu'où ça peut aller mais on sait qu'on y va ! Les législateurs ou institutions qui ne feront même pas l'effort de se renseigner sur les enjeux de cette révolution perdront ce qu'il leur reste de crédibilité. Ceux qui s'acharneront à l'entraver par la force s'exposent à un retour de flamme assez évident.
Chacune de ces piécettes contient une clé privée. Casascius propose ce gadget.
C'est pour ça que la question de savoir si le Bitcoin est une monnaie ou pas n'est pas pertinente. J'y réponds quand-même rapidement. La monnaie est une question de confiance et de circulation : on peut considérer que l'or ou les bouteilles de calva sont des monnaies, dans ce cas le Bitcoin en est une aussi. D'un autre point de vue, le marché est tellement volatile qu'il ne peut certainement pas servir d'unité de compte : on ne peut pas l'appeller « monnaie » même s'il remplit à merveille la fonction d'instrument de paiement. Les deux façons de voir les choses se défendent. Par contre l'expression « monnaie virtuelle » me pose un problème : le Bitcoin n'est pas plus « virtuel » que le Dollar. Je rappelle que, selon les pays et les saisons, entre 85% et 98% de la masse monétaire de n'importe quelle monnaie nationale n'existe que sous la forme numérique. La monnaie est déjà électronique.
Les spéculateurs les plus vicieux, les ultra-cap nostalgiques et les libertariens de tous poils essaient de dompter la bête sauvage. Ce ne sont pas des raisons suffisantes pour bouder la monnaie de Satoshi. Les anars aussi sont attentifs au déroulé des événements, c'est la moindre des choses. Chacun peut en faire ce qu'il veut, c'est ça qui est fun ! Le projet n'a que cinq ans. c'est une sorte de miracle d'autogestion et, jusqu'à maintenant, l'expérience est plutôt réussie. Il est clair qu'une minorité de gens, les heureux « premiers entrants », se sont goinfrés au passage. Parfois je rêve de récupérer la clé privée de Satoshi, pas vous? Les accros à la spéculation ont de quoi s'amuser, c'est sûr. Et alors? Il vaut mieux qu'ils s'excitent là-dessus que sur le marché des denrées alimentaires... et même si le mining consomme entre 1,6 et 2 millions de Dollars par jour en électricité, ce qui n'est pas un petit problème, l'avancée technologique qu'il représente est incontestable. Ne devrait-on pas se l'approprier plutôt que la rejeter ? Pourquoi les associations ou institutions n'ont pas tous leur adresse Bitcoin quelque part sur leur site pour accueillir les dons ? Pourquoi les assos, blogueurs, organisations, etc ne le proposent-elles pas depuis longtemps ? Ca ne coûte rien à mettre en place et ça prend une minute à faire.
Vous voilà prêts à entrer dans la jungle des monnaies électroniques ! Il y'en a peut-être plus de 500 en circulation. Certaines sont basées sur le code source de Bitcoin (on appelle ça des « forks »), d'autres non. Dogecoin, Mastercoin, Next, Ethereum, Counterparty, Maidsafe, Permacoin, OpenUDC, ou Evergreen... Je vous emmènerais volontiers les découvrir dans un prochain épisode. La dernière vraie innovation technologique dans le domaine de la finance, c'était le distributeur de billets dans les années 70... Même s'il est encore marginal en comparaison avec les monnaies classiques, le Bitcoin dépasse de très loin ses petites cousines aussi bien en terme de volume d'échange qu'en nombre d'utilisateurs : c'est le roi de cette jungle dense et mystérieuse.
@julienbrg